Par Jérémie Walanda
Bangui, 07 aout 2025 – (Eclipse d’Afrique) : Récemment s’est tenu un événement ordinaire sur un sujet extraordinaire, à savoir une réunion du Collège du Ministère des Affaires étrangères consacrée aux technologies de l’information et de la communication avec un accent sur l’intelligence artificielle (IA). Et bien que le communiqué de presse publié en présente les résultats, il ne s’agit en réalité que du lancement d’un travail important et intensif dans ce domaine. Cette discussion a constitué le démarrage d’un débat ministériel approfondi et d’un processus d’adaptation du ministère aux objectifs liés à l’IA dans sa dimension internationale.
En effet, dans une tribune publiée dans Rossiïskaïa Gazeta, Maria Zakharova, porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, tire la sonnette d’alarme sur un phénomène en pleine expansion : le néocolonialisme à l’ère de l’intelligence artificielle (IA). Derrière les promesses de progrès technologique et de transformation numérique, elle dénonce une forme moderne de domination géopolitique exercée par les puissances occidentales sur les pays en développement.
Avec l’IA au cœur de la quatrième révolution industrielle, le monde assiste à une transformation accélérée des sociétés, des économies et des modes de vie. Mais pour Zakharova, cette mutation est loin d’être neutre. Selon elle, les technologies d’IA sont désormais instrumentalisées pour façonner les comportements, orienter les décisions politiques et imposer une vision unique du monde. Les pays du Sud, en particulier, sont de plus en plus dépendants des équipements, logiciels et algorithmes conçus par des entreprises des pays de l’OCDE.
Ce nouveau rapport de domination ne passe plus par l’occupation militaire ou la pression économique directe, mais par le contrôle des données, de l’information et des systèmes numériques qui régissent tous les pans de la vie moderne, de la santé à l’éducation, en passant par la gouvernance et la culture.
Autre aspect mis en lumière dans l’article : le coût environnemental et matériel de l’IA. Pour produire les milliards de smartphones, alimenter les centres de traitement de données ou faire fonctionner les modèles d’IA générative comme ChatGPT, il faut des quantités colossales de ressources naturelles – métaux rares, eau potable, énergie électrique. Ces ressources proviennent en grande partie des pays du Sud, extraites dans des conditions souvent opaques, avec un lourd tribut écologique.
À titre d’exemple, la production d’un smartphone de 100 grammes nécessite près de 70 kg de matières premières, principalement extraites en Afrique, en Asie ou en Amérique latine. En parallèle, les géants technologiques comme Google ou Microsoft consomment des millions de mètres cubes d’eau potable pour refroidir leurs serveurs, alors que plus de 2 milliards de personnes dans le monde n’ont toujours pas accès à l’eau propre.
La transformation numérique mondiale ne bénéficie pas à tous. Zakharova dénonce une fracture numérique croissante entre pays riches et pays pauvres. Les premiers récoltent les profits de la digitalisation et de l’IA, tandis que les seconds en supportent les coûts écologiques, sociaux et économiques. Sous couvert de normes écologiques ou de « développement durable », les pays du Nord imposent des standards qui freinent la croissance industrielle du Sud, tout en externalisant vers ces mêmes pays leurs activités les plus polluantes.
Cette logique, qualifiée de « néocolonialisme vert », renforce l’asymétrie dans l’accès à la technologie, aux financements, aux infrastructures, mais aussi aux opportunités économiques liées à l’intelligence artificielle.
Derrière ce constat, l’article souligne la montée en puissance de l’IA comme enjeu stratégique mondial. Les investissements explosent : 500 milliards de dollars pour le projet Stargate aux États-Unis, 200 milliards d’euros pour InvestAI en Europe, 14 milliards de livres au Royaume-Uni… même la Chine intensifie ses efforts dans ce domaine avec une croissance de 48 % de ses investissements annuels. L’IA n’est plus seulement une technologie, mais un instrument de puissance, de compétition, voire de domination mondiale.
Face à ce constat préoccupant, Zakharova appelle à une gouvernance internationale plus juste, équitable et inclusive de l’intelligence artificielle. Elle salue les initiatives en cours au sein de l’ONU, de l’UNESCO et d’autres organisations multilatérales, mais insiste sur la nécessité pour les pays du Sud de faire entendre leur voix dans ce débat crucial. L’enjeu : empêcher la reproduction des schémas coloniaux à l’ère du numérique.
En conclusion, la diplomate russe appelle à une vigilance collective face à l’instrumentalisation des technologies de l’IA par les puissances dominantes. Le défi ne serait plus seulement économique ou technique, mais profondément politique et civilisationnel.
